La Dégénérescence de la Nation
Comment ma queue m'a sauvé la vie
Sans voter, sans armée, sans être juif, sans être arabe, sans être marié, sans être célibataire. Je suis venu rendre ma carte d'identité et je veux qu'on m'injecte une puce. Comme n'importe quel autre chat en Israël. Ni plus, ni moins. Un traitement égalitaire. Et elle me dit : Accepteriez-vous qu'on vous stérilise ?
Par : Trans-humaniste
Chat domestique et non chat d'État. Et tout cela grâce à la queue (Source)
J'ai rêvé que je voulais que l'État me reconnaisse comme un chat. Je me rends au ministère de l'Intérieur, et l'employé amusé me dit justement : Nous avons un service pour les gens comme vous. Et je corrige : Les chats ! Il perd patience : Allez dans la pièce du coin. Et la travailleuse sociale compatissante spécialisée dans le traitement des personnes trans essaie d'avoir l'air professionnelle : Donc vous prétendez que comme l'État reconnaît le sexe et l'identité sexuelle selon le choix, il devrait aussi reconnaître votre identité comme espèce, et donc vous voulez qu'on reconnaisse votre identité de chat ? Que sur votre carte d'identité soit écrit : "Espèce : chat" ? Et je dis : Je trouve la moquerie dans vos propos offensante envers mon identité féline. Elle comprend immédiatement : Pardon ! Et je baisse les yeux : Je ne veux pas que l'État reconnaisse mon identité. Je veux être traité comme un chat. Qu'on me prenne ma carte d'identité et que l'État cesse de me reconnaître comme un humain. Je suis un chat. Et elle ne comprend pas : Que voulez-vous de l'État ? Et je réponds : Que veut un chat de l'État ? Rien ! Sans devoirs, sans droits, sauf peut-être les droits des animaux. Sans compte en banque, sans impôts, sans voter, sans armée, sans être juif, sans être arabe, sans être marié, sans être célibataire. Je suis venu rendre ma carte et je veux qu'on m'injecte une puce. Comme n'importe quel autre chat en Israël. Ni plus, ni moins. Un traitement égalitaire. Et elle dit : Accepteriez-vous qu'on vous stérilise ? Et je m'emporte en sortant mes griffes : Vous posez vraiment cette question aux personnes trans qui viennent vous voir ? C'est de l'humour chatophobe. Et le garde de sécurité arrive et demande : Tu veux que je t'accompagne dans la poubelle la plus proche ou tu sors tout seul ? Et je dis : Assez avec cette stigmatisation. Je suis un chat domestique.

Et je vais dans une clinique juridique pour les droits des animaux et je veux qu'ils me représentent dans une pétition à la Cour suprême pour qu'ils me reconnaissent comme un chat. Et ils m'envoient à la clinique des droits de l'homme mais je ne vois pas la pertinence. Et finalement je m'adresse moi-même à la Cour suprême, et le juge de permanence s'ennuie et ne m'appelle que pour voir ce que c'est que cette chose, et Son Honneur demande : Qu'est-ce qui fait de vous un chat ? Et je dis : Miaou ! Et Son Honneur dit : Même mon chien fait un miaou plus convaincant que vous. Et là - toute la discrimination que j'ai subie explose soudainement en moi (car je vois que la greffière prend note du protocole) : Oui, je suis une espèce d'homo-felius. Et tout ce que je veux c'est arrêter d'être considéré comme un être humain. Ça me convient d'appartenir à quelqu'un, d'avoir un maître. D'avoir un collier. Ça me convient de ne pas m'inquiéter pour ma nourriture. Je ne veux plus fonctionner. Assez. Pendant des années je n'ai pas fonctionné et ce n'est que maintenant que j'ai compris que ce n'est pas parce que je suis un humain raté, c'est parce que je suis un chat réussi. Qu'au plus profond de moi j'ai toujours réprimé, ou plutôt la société a réprimé en moi, mon identité féline. Je pleurais la nuit quand le miaou était étouffé en moi. Chaque fois qu'on s'adressait à moi je voulais répondre miaou, mais je savais que la société ne l'accepterait pas. Des années de miaous refoulés. Miaou au professeur à l'école. Miaou au commandant dans l'armée. Miaou au patron au travail. Miaou à la lecture de la Torah lors de ma bar-mitzvah [cérémonie de majorité religieuse juive]. Tous les miaous que je me suis retenu de sortir explosent maintenant en miaulement. Laissez-moi être un chat ! C'est qui je suis. Alors Son Honneur se moque de moi, mais dans le petit miaou que je vous ai répondu sont repliées les souffrances d'une vie entière, que je n'ai aucun moyen d'exprimer autrement qu'en miaou. Et je me lance dans un long miaulement jusqu'à la fin de toutes les générations, et le juge perd patience et s'énerve : La pétition est rejetée. Et je vous inscris, Monsieur le Chat, des frais de justice symboliques. Et je dis : Non non, même si on me met en prison, même si maintenant toute ma vie je roule de prison en prison pour cent shekels [monnaie israélienne], je ne paierai pas car je suis un chat et un chat ne peut pas avoir d'argent. Un chat n'est pas partie prenante du capitalisme. Laissez-moi sortir du système ! Et le juge dit : On dirait que vous êtes vraiment sorti du système. Puis il conclut (apparemment aussi pour le protocole) : La justice est la dernière étape du changement, pas la première. Il faut commencer par la reconnaissance de la société. Il faut d'abord la première personne qui vous reconnaîtra comme chat et vous acceptera tel que vous êtes. Ce n'est qu'à la fin que viendra la reconnaissance de l'État. Vous monsieur, comme un chat typique, commencez par la queue.

Et je marche dans la rue triste et misérable, et je comprends que ce n'est pas du tout ma place. Je suis un chat domestique. Et chaque fois je vais vers une fille différente et je fais miaou et elle s'enfuit. Il n'y a même pas de pitié des femmes vertueuses pour un chat comme moi. Peut-être est-ce ma nudité qui les effraie ? Mais je suis un chat propre. Et je commence à me lécher. Je suis aussi un chat robuste, souple, agile, un très beau chat. Très très beau ! Et finalement je vois une grosse femme qui pleure seule au bout de la rue la nuit. Et je n'ai nulle part où aller et rien à manger, alors je vais vers elle, m'assois à côté d'elle, et fais miaou. Et elle n'a justement pas peur. Elle m'examine des pieds à la tête, queue comprise, et il semble que je lui plais même. Immédiatement je fais des expressions de chat content de lui, et m'approche d'elle lentement et avec une délicatesse féline, et me frotte contre ses jambes, et ça lui plaît beaucoup, même si elle est un peu réticente. Et elle demande : Que vous est-il arrivé ? Et je dis : Miaou ! Et elle rit : C'est une sorte de spectacle, c'est du fringe ? Et je dis : Miaou. Et elle dit : Vous êtes un chat ? Et je dis : Oui, et je n'ai nulle part où être. Et elle devient curieuse : Que faites-vous dans la vie ? Et je dis : Je suis chat à plein temps. Et elle ricane : Où avez-vous appris ça ? On en vit ? Et je dis : Ça dépend si on trouve un maître. Miaou... Et elle me regarde et s'adoucit : Pourquoi êtes-vous si triste ? Où habitez-vous ? Et je dis : C'est ma tragédie, je suis un chat domestique, mais je me retrouve ici dans la rue. Et elle m'examine avec inquiétude : Vous n'avez pas froid en vérité ? Comme ça sans vêtements ? Et je baisse le cou : Très froid. Brrr... Et soudain brille en elle un regard de courage et d'aventure excitante : Voulez-vous monter un peu chez moi, mon chat, boire une écuelle de lait ? Et je bondis : Avec joie, ma maîtresse. Et elle éclate de rire. Et quand nous montons les escaliers elle fait un clin d'œil et promet : Si vous savez vous faire câliner, dorloter et lécher, vous pourrez peut-être même rester. Et peut-être peut-être même que je vous permettrai de dormir finalement dans le lit. Depuis je ne suis plus sorti de chez elle - et ainsi commença ma nouvelle vie chez ma célibataire.
Vie nocturne